Ile de Sal, Archipel du "Cap vert" aujourd´hui.
A trois euros de l´heure je vais tenter de transmettre ici les notes prises durant cette traversee ... Pas le temps de reflechir au fond et a la forme, frappe au kilometre, sans cencure pas le temps de reflechir "au sens". Ca vaudra bien ce que ca vaut, pas bezef ... Mais si le bateau venait á couler ce texte sera protege au moins, avec tous ses defauts desole ...
Ile de Graciosa - Archipel de Canaries
28*05 Nord - 17*06 West
Je suis nerveux comme une pucelle prete a le faire ... Adrenaline, c´est donc ça l´aventure ... Pour le troisième fois en presque deux mois je vais tenter une sortie du port de San Sebastian de la Gomera, en direction du Cap Vert. Je sais que ce n´est pas vraiment raisonnable, que mon moteur a craqué trois fois de suite avant cette tentative, toujours cette voie d´eau ...
Des milliards de signes me disent de ne pas partir, superstition ?
Ce matin, pour la premiere fois en deux ans, Roxane a disparu (les rats quitte le bord). Je la retrouve trois heures plus tard, tremblante dans une petite echoppe Canarienne. Trombes d´eau, pannes en repetition, ma carte bleue qui bloque ... Quitter enfin l´Europe ???
Merde, merde, merde ...
Pour cette fois, je me jure de tenir un journal de bord - toutes les six heures - tel le vrai capitaine ...
Pour le moment vent apparent Nord Ouest (a terre) 10 noeuds, c ´est peu ... La meteo (Ugrib pour les intimes) est clemente et stable pour les Sept jours a venir.
Alleye, merde, derniere pisse de chien, derniere confortable poubelle de marine - et je me casse ...
19h30 (27*48 Nord - 17*48 West)
Et bien voilà, c´est parti, scénario catastrophe bien lancé ...Le moteur a daigné fonctionner durant trente minutes, le temps de sortir du port, de hisser foc et grand voile, et puis "Clanc" il cale sans vouloir redemarrer ... Deux mois de boulot pour ce resultat là, comme envie de hurler ... Je viens de le faire fonctionner 10 heures de suite au port et là après une demie heure en mer, il me lache entre les pattes ...
Vent de Nord Est, puis de Nord Ouest, puis de nord variable a souhait ... Influence de la côte surement, 6 à 7 noeuds quasi rien ... Pas le temps de reflechir vraiment, s´eloigner de la côte imperativement: " A la manoeuvre mon Gilou" - reprendre la main le bateau, le cap, la direction de ta vie ... S´éloigner de la côte coûte que coûte, ne pas se fiche contre le rocher ...
Aller vers Hierro, on verra bien, la suite ...
Planté droit dans la tripe je me refuse de retourner à la Goméra. Conscience, inconscience ? Revenir je sais que ce serait la fin du voyage ... Je ne sais pas vraiment ce que je fais, à quoi je m´engage, pour quelle exercice physique, épreuve mentale, ma vie dans la balance peut être ??? Je ne reviendrais pas à la Goméra!
Je sais que sans moteur je ne serais pas autonome en electricité, que je n´aurais que des moyens très réduits pour "atterrir" au cap Vert, que le régulateur d´allure mécanique ne fonctionne toujours pas, que je fais de l´eau, que je risque de perdre ma seule fortune "Mon bateau" ... Mais j´y vais, sinon je n´irais jamais plus, je le sais ...
Deux ans de ma vie consacrés a la preparation de cette expedition, toute ma fortune et une partie de mon avenir engagees (que dis-je, hypothéquées - saloperie d´impõts qui m´attendent au retour), pour me dégonfler aux portes de l´Afrique, non - putain on verra bien !
J´ai la pétoche pour l´une des première fois de ma vie, alors c´est donc ça d´en avoir, des "couillesaucul"? Adrénaline ... Alors c´est enfin ça "l´aventure" ...
Je ne suis pas un mec particulièrement courageux. En fait comment savoir si on en a, "du courage" ... Avec tout le confort, de nos jours, pour nous autres "occidentaux", de notre coté, il est bien délicat, elles sont bien rares les occasions, de se prouver, qu´on en a, des "couillesaucul".
Y a t´il un quelconque courage à se laisser porter par les vents ?
Les Alizés en plus de tout !!!
Avec toutes les prouesses technologiques (radar, GPS, pilote automatique ...).
Mais pas forcé que je beneficie de tout ça demain ...
Et sans ça, ce ne sera pas le même confort, l´océan c´est l´océan ...
Je me souviens de mon fantasme Parisien, depuis mon appart´parisien, tellement prégnant ...
J´y suis, je ne veux pas lâcher ...
Bien banal, tout ça, vu d´ici ...
21h30, voilà 7h00 que je suis sorti de la marina, je rigole toujours, avec mon pilote automatique ... Je vide ma sixième et dernière bière de ma future croisière (histoire d´encaisser ma panne moteur, de me donner le courage de continuer ...). Bientôt le manque et les plaisirs de l´eau ... Salée l´eau à venir normalement, salée ... Je sais que cette traversée ne sera pas de la gnognote, mais ...
06/01 - 15h00
26*11 Nord - 18*07 West
24h00 de navigation ... Dieu que cette première nuit de réadaptation a été longue ...
Nonobstant la valse du vent (nord Est á Nord Ouest, et inversement), j´avais la tripe nouée á cause du moteur ... La décision de continuer ou d´abandonner c´est maintenant ou jamais, je passe au large de Hierro, la dereniere ile des Canaries accessible, aprés c´est 800 miles, dans le "vide oceanique" .... Enfin une nuit d´insomnie qui n´appartient pas á Agnes, comme quoi, la mer, ça change bien les idées ...
Avec ce vent plutôt fluctuant, au portant en général mais avec bien des variations, et en compagnon de barre le pilote automatique (electrique, calé sur le Cap compas et non sur la girouette - comme il est théoriquement possible de le faire) la nuit a été sportive, ça en est rageant ...
J´ai calé les voiles en quinconce (petit foc tangonné d´un coté et grand voile de l´autre). Dès que le vent change de "sens" c´est l´empannage forcé ou le foc qui claque à contre ... Le pilote qui Bip, le mat qui force ... Malsain ...
Reveil, manoeuvre dans le noir, j´ai horreur de ça ... Par chance le vent n´est pas trés fort (10 à 15 noeuds). Et, nous en sommes au premier tiers de lune montante. Au moins durant cette traversée, et contrairement à Gascogne, j´aurais un peu de lumière naturelle durant cette traversée, la nuit ...
Ce matin, devant Hierro, le moteur a daigné démarrer ... Deux fois une demie heure, je n´ose le faire forcer plus ... Il fume un peu, il couine chouya, mais à c´t´heure, il tourne et charge donc les batteries ... Je retente le coup trés bientôt ...
Au niveau de mes voies d´eau c´est trés raisonnable, elles n´ont ps miraculeusement disparues, mais en six heures elles ne remplissent pas les 150 litres d´eau - mon calfatage intérieur a fichtrement calmé le jeu et semble tenir le coup ... C´est 10 fois moins que durant ma traversée Maderes / Canaries, ça evrait pouvoir se jouer ...
J´ai désormais une batterie supplémentaire que je ne dédie qu´au pompage, batterie offerte par Andy, "mon" mécano de la Goméra ... La pompe utilise 5 ampères heures, et evacue 200 litre en trois minutes, la batterie contient 120 ampères... Il y a de quoi évacuer un paquet de litrons d´eau avant de galerer, j´y crois, je veux desespérement y croire ...
A condition que la voie d´eau n´augmente pas bien entendu ....
Je parviens enfin a me caler à la cape (quasi face au vent), la voile à peine étarquée la barre á contre (dérive plein nord donc, à l´inverse de mon objectif) ... Ce n´est pas ça qui me fera avancer, mais là l´urgence c´était Café, Séchage, gamberge, décision, organisation et lunettes neuves ... Et surtout tenter de remettre un peu les pieds sur terre (façon de parler vous comprendrez ...).
Depuis ce matin ce mantra me turlupine. Il me rappelle quelque chose mais je ne sais plus bien quoi …
Avec toute l’impatience qui me caractérise je savoure avec un rien de dégoût, par le biais du GPS, la lenteur du décompte des minutes et des secondes (d’arc) de la frontière qui me séparent du 23° au 24° parallèle de latitude.
Latitude : lignes imaginaires faisant le tour terrestre permettant de définir où vous êtes sur terre – physiquement bien entendu et uniquement – par rapport au Nord et au Sud, dénommés également les parallèles – ces lignes sont coupées à angles droits par les méridiens qui vous situent d’ Est en Ouest : c’est la Longitude …
Chaque degré de latitude, comme de longitude se décomposent en 60 minutes (dites d’arc), puis en (va comprendre pourquoi) 100 secondes. A savoir qu’une minute de latitude correspond à un 1 mile nautique (1,852 km) et que ça ce n’est pas vrai pour les minutes de longitudes (mais ça c’est trop long à expliquer) …
Note très cher et hypothétique et virtuel lecteur comment l’auteur parvient, sous des aspects anodins et presque badins, à faire entrer dans ton crâne d’ignare, quelques notions du subtil « art » de la navigation mondiale …
Donc ce 24° parallèle m’interpelle … Mais qu’à t’il donc de spécial ? Et soudain la révélation me tombe, lumineuse !! Ce ne serait t’il pas l’énorme, le fabuleux, le mythique « tropique du cancer » ? Ah mes amis j’en frissonne encore, là, en vous écrivant, de cette merveilleuse illumination … Noudoudiou, qu’est ce que c’est bon « l’aventure ».
Bon vérification tout de même, on ne sait jamais ! Je farfouille dans mon maigre stock de cartes marines, mon petit atlas mondial, et puis, euh, dans mes bouquins d’initiation à la navigation … Rien ! Je le vois bien « apparaître » ce foutu tropique sur quelques cartes, pour sûr c’est bien dans le coin, mais je ne dispose de rein de suffisamment précis, écrit quoi , comme quoi le 24° parallèle correspond bien au tropique du cancer … Je me sens un peu tout nu tout d’un coup, chouya « sous équipé » …
C’n’est pas grave, je m’entête, je saisis mon compas à pointe sèche (autre instrument de base des « choses » de la navigation). Et savamment, je calcule, je suppute, j’examine, je détermine … Voilà t’il pas que je me sens de la peau de Copernic, voir même de Galilée … Vous bilez pas c’est juste qu’aujourd’hui fait un peu chaud – un tel besoin d’Euphorie, de rigoler quoi … De décompresser, aussi je crois, solitude, bref …
Moi, Gilles Dujon, « Dé la mancha », surnommé dans le milieu très étroit et fermé de la belle plaisance « Captaingils », déclare, à dater de ce jour solennel, que ce putain de tropique du cancer se situe très exactement sur le 24° parallèle de latitude Nord de notre belle et vaste terre.
Et puis c’est marre !!! Et Cochon qui me dédit … Et même si je n’en mettrais pas ma main à couper. Dites c’est encore loin le Sénégal ?
Donc objectif du jour (08/01/09 pour ceux qui ne suivent pas) : rejoindre et dépasser ce foutu « Tropique du Cancer » … C’pas rien comme objectif ! C’pas commun, « on » ne fait pas ça tous les jours dans une vie tout de même, c’est archi motivant moi je trouve …
Alors, obstinément, courageusement, pugnasticiquement (j’aime bien ce mot peut être inventé), avec obstination et courage, sans reproche ni peur, sans m’interroger sur ce putain de temps qui ne passe pas et ces distances qui ne se comblent pas (bon tu vas la finir cette phrase ?) je m’accroche à la barre et à cette putain de petite aiguille du compas que je tente de bloquer, plein largue, au Sud / Sud Ouest, afin de vaincre et dépasser, sans faillir, cette, euh, putain de ligne imaginaire, du « Tropique du Cancer » … Mesure personnelle et physique du monde mine de rien …
Et ceci par 5 ou 6 nœuds de vent faiblissant et une incroyable et stimulante vitesse de 1,5 nœud à l’heure … (Alleye, dernière petite révision de Nav’ pour ce soir : 1,5 miles * par1,852 = 2,778 Km/heure - putain la moitié de vitesse qu’un homme qui marche tranquillement…).
« Un pas en avant, deux pas en arrière » - Tient elle devrait passer sur l’harmonica « en Do » celle là, je vais la bosser …
Mais bon, vous savez, Sigh, dans ma vie je n’ai jamais rien réussi ! Même ce putain d’objectif à la con « j’ai pas réussi à l’avoir », et ce malgré 14h00 de présence à la barre franche. Minuit arrive « 24°06 Nord – 19°47 West) – J’échoue à 6 miles nautiques de l’objectif …
Tristement, avec humilité, je décide d’aller me coucher. J’affale mon Génois, prends deux ris dans la grand voile (en souvenir du « grain / skud » de la dernière fois et pour ne pas trop dériver « à la Cape » comme la nuit dernière – ça coûte cher « en temps » de nos jours un mile de dérive). Et rentre tout penaud dans la cabine pour dormir, enfin … Arrivé en bas de l’échelle du carré mon pied nu s’enfonce dans un truc chaud et mou !!! Que je n’avais pas vu cause mes lunettes de soleil – vous vous souvenez ?) … Et Merdeuuuuu, encore une énorme crotte de Roxane ( c’est la seconde fois en deux ans qu’elle chie à l’intérieur) – Incroyable ce que ça contient un ventre de chien !!! mais je l’ai déjà dit je crois …
Vous voyez, on ne s’emmerde pas du tout, en solitaire, en pleine mer, toujours un truc qui se passe …
Petit plat de nouille et salade de tomate … Je me déshabille au total et me glisse avec délice dans mon duvet puant (ouais parce que depuis le temps que je l’utilise …).
A peine allongé j’entends comme un souffle de vent ! Se fout de ma gueule, pensé-je en rigolant, pas un poil de Zef de tout le jour et maintenant que je me couche …
Puis soudain l’Atao se couche presque, j’exagère mais pas loin. Violence d’un nouveau « grain Skud », imprévisible. Je me lève en urgence et m’habille en conséquence. Je sors dans le cockpit et me prends 100 litres d’eau dans le nez, trempé, de nuit, chier … Mais au moins je vais avancer… 15 minutes de folie, puis, comme apparu disparu plus rien, calme plat … Etonnant, trempant, effrayant presque … De la bonne préparation des quarts de nuit, instructif … Je retourne me coucher, bonsoir ….
Sur le pont au petit matin 6h30, « Café con leche condensado » … Lever avec le soleil, pétole, pas un souffle, un zéphyrounet, un pet d’vent, un ren de ren … Soleil presque chaud, une longue houle douce sans ride, ciel d’azur, brume à l’horizon, qu’en dire ??? Tranquille le matin !!! Désert d’eau, le temps se fige, s’immobilise … Aucune pression, calme et volupté …
Bon qu’est ce qu’on fout ? Une petite belote ? Roxao décline l’offre… Agnès bougonne un petit truc méchant du fin fond de la cabine… Mais quel con d’avoir amener cette gounzesse, toujours à faire la gueule (Vous n’y comprenez rien, moi non plus. Ce n ‘est pas grave …). Donc !!! Rangement, point navigation, pompage de fond de cale, écritures d’hier et puis de là …
Vers 11h30 un petit soufflounet de ventounette, 5 à 6 nœuds max. de vent, toutes les voiles « à sécher » dehors, enfin … Un vent d’Ouest, tient donc, c’est pas l’alizé ça …Petite angoisse momentanée, mes « Grains Skuds » sont toujours venu de là … Gros avantage, le vent courre presque de travers par rapport à l’objectif. Je retrouve immédiatement mes marques avec mes bouts d’élastiques. L’Atao file droit, stable au cap sans trop intervenir. Bouffe, écritures …
De la Nav’ comme j’en rêvais, enfin !!
Quelques news de « Ma » voie d’eau : stabilité, consensus de cohabitation … En 6 heures l’eau ne monte qu’au second déclencheur pompe (soit environ 150 litres). Par souci d’économie d’énergie j’ai « shunté » le déclenchement automatique de la première pompe, la seconde pompe est toujours branchée directement sur les batteries de servitudes avec son propre détecteur automatique de niveau d’eau … Afin de ne pas solliciter les batteries de servitude en permanence je pompe désormais une troisième pompe autonome de secours avec son système d’énergie auxiliaire (la batterie de mon ex moteur). Comparé à la traversée précédente (Madère / Canaries) l’eau rentre désormais 6 fois moins vite qu’alors … De 15 seaux toutes les heures à l’époque, ce serait 15 seaux toutes les 6 heures. A ce rythme je peux dormir un plus tranquille, c’est bien. Voilà pour ça …
Déjà, faute d’intensité (voltage ? ampérage ?) dans les batteries de servitudes, le pilote automatique ne fonctionne plus. Toutefois grâce à l’énergie résiduelle je dispose toujours de mes feux de navigation, du radar, et de la plupart des instruments de navigation qui me seront infiniment plus utiles pour « l’atterrissage » au Cap Vert (notamment le sondeur de profondeur pour mouiller l’ancre à l’arrivée ou le radar pour mieux repérer la cote) … Donc pour l’instant le Capitaine impose à l‘équipage un « black out » total sur la consommation d’énergie électrique à bord …
En espérant, que dis je en priant, pour que « ça » tienne jusqu’à l’arrivée …
Bon an, mal an, tranquillement, enfin, vers 15H30 le tropique du Cancer est franchi... Vous savez ce que c’est, sinon je vous explique ??? Non je rigole … Photo du GPS ?
J’aurais bien fêté ça avec une petite bière, mais j’ai bu le stock le premier jour (dernières pensées à mes goûteuse « Dorada » canariennes) … Parmi les derniers petits plaisirs disponibles j’aurais bien allumé une cigarette (le « rationnement » a commencé depuis hier, j’y reviendrais sûrement …). Mais pour passer le tropique « DU CANCER » ça aurait été un peu malséant trouvez pas ? D’allumer un clop !!! On devient vite chouya Mystique, en mer en solitaire (cf : « les signes gomeriens » ou « la malédiction d’Agnès »).
Donc et au final, pour marquer le coup, je « cuisine » un sacré noudoudiou de bon sandwich au fromage, avec un succulent verre de lait (entier, mine de rien, le lait …) avec tout comme un énorme sentiment de fête dans la tête, et puis voilà pour cette foutue ligne imaginaire. Puis une petite sieste…
Vent Nord Ouest, Cap Sud Ouest à vue de nez, enfin au pied levé, dirais je …
Jusqu’à s’endormir …
10/01 Réveil vers 5H30 du matin
J’ai du dormir 3 ou 4 heures, profondément… Je bascule dans la couchette, noudoudiou ça gîte … Le vent hurlait dans les haubans. J’ai toujours adoré cette petite phrase, intellectuellement parlant s’entend, symbole de l’aventure marine … Mais là c’est du vrai, il faut faire quelque chose, vite, l’Atao vient de virer de bord, les voiles à contre, avec cette tempête dehors …
Tout est relatif, une fois sur le pont, 25 à 30 nœuds de vent (force 5 à 6), étrange Ouest : Nord Ouest toujours … Il fait nuit encore, pas d’étoiles, je stabilise la barque …
Café café café, sappe chaude et étanche et « à la barre » mon Gilou … Je suis bien décidé ce matin « à faire du mile » de l’avantage « d’en avoir », du vent – concentration …
Je quitte donc la Cape (plutôt Sud Est) pour revenir sur le Cap (plutôt Sud Ouest) … Et là de suite après à peine quelques minutes de navigation, une petite déferlante vacharde dans le cockpit qui me trempe de la tête au pieds, malgré mon tout beau nouveau ciré jaune. Une journée qui commence bien, chier !!! Ce sera la seule vague que je prendrais de la journée, la bonne quoi, le matin à froid comme ça, ça calme ... Changement de sappe, puis retour sur le pont.
A 7h30 le soleil se daigne commencer à se lever ; fainéant celui là sous les tropiques – du cancer en l’occurrence. Enfin je commence à « y voir keukchose » …
L’Atao file tranquilou bilou à 5 à 6 nœuds, 1 ris dans la grand voile et le plus petit foc que je tangone. Le vent baisse peu à peu à 20 puis 15 puis à peine 10 nœuds. Il opère une rotation Nord puis Nord Est et s’installe enfin sur l’Alizés tant espéré, espoir de régularité …
C’est chiant un vent qui tourne, au grand largue avec les voiles en ciseaux, sans repère d’horizon. Il faut suivre tout d’attention au compas pour éviter les empannages sauvages. Je me cale sur un Cap compas idéal et puis attitude mentale de « bœuf au travail », pilote automatique dans la tête, ne penser à rien, ne pas penser que « c’est long », ne pas se dire que « l’on s’emmerde ici », comme un Bzz Bzz dans le creux de l’âme … Et oui, un genre de méditation en somme, finalement, on y revient …
Dans ces moments d’apathie, si l’on ne remarque pas avec conscience que le vent tourne, on multiplie les « focs à contre », les « empannages sauvages ». Un rappel à l’ordre violent, brutal, une voile qui claque, à cette vitesse là …
Objectif de la matinée ben … Niquer le 43ème pour le coup, de latitude Nord, vous aurez compris, j’espère … Ne reste que 38 miles à parcourir à c’t’heure pour y arriver … Petite révision du matin Il est 7 heures, Un nœud est égal à 1 mile nautique. L’Atao file en ce moment ses 6 nœuds de moyenne pour 15 nœuds de vent * 6 heures égal 36 miles nautiques. Donc à l’estime, en déduisant les empannages et autres petits besoins naturels où je suis contraint faute de régulateur de mettre en panne. L’Atao, Roxao et moi même devrions passer le 43ème vers 14h00.
De la juste mesure du monde …
Donc vers 14h00 c’est du concret … 8h00 de « quart » en barre franche je suis saoul comme si je les avais passé « au Bar » ces heures… En fait j’ai horriblement faim … « A la cape » face au vent de nouveau, c’est vraiment dur pour la moyenne de naviguer en solo sans régule … Quelle connerie d’avoir « claqué » l’énergie des batteries en utilisant constamment le pilote automatique les deux premiers jours, alors que le vent ne forçait pas …
Pause d’une heure et demie. Je me prépare un déjeuner ultra consistant : saucisses – œufs – oignon – grosse tranche de fromage de chèvre frite – une tomate en salade et une orange … Heureusement que (jusqu’ici grâce à dieu) je ne suis pas sujet au mal de mer parce que mon petit plat n’est franchement pas très digeste. Passons ça tient au corps.
Vaisselle immédiatement … A bord, avec ce temps, le moindre objet qui traîne devient un danger potentiel. Avec les vagues et la gîte, les lois simples de la pesanteur sont étrangement chamboulées. Facile de se prendre très concrètement un « bon verre dans le nez » si on le laisse traîner dans le fond de l’évier. Petite sieste de 30 minutes …
Et c’est reparti pour un autre « quart » de 6 heures. Après midi tranquille, grisante même ! Le vent d’hier a levé un longue et houle (d’ouest donc), puis il a viré au Nord Est. Je fais Cap vers le sud Ouest … Vous me suivez ??? Le vent me pousse d’un coté, les vague de l’autre, le tout provient de l’arrière, l’Atao m’offre de longues séances de « surf » au portant, 8 à 9 nœuds de vitesse au GPS, c’est … grisant ! Sauf qu’il faut rester hyper concentré, on barre vite « en couille » dans ces conditions (s’cusez l’expression). Après midi « Surfing ». J’ai les lèvres insensibilisé d’harmonica, il commence déjà à me gaver ce son grinçant …
Le « pépin du jour » : Au moment d’un empannage, j’entends un « truc » qui tombe dans le cockpit. Je ramasse et découvre un taquet coinceur !! Je me retourne et constate que l’une des poulie du palan du système de d’écoutes de grand voile vient de rompre ... Super merde c’est un outil fondamental du gréement pour gérer l’angle de la grand voile par rapport au vent.
A la Rochelle j’avais envisagé d’équiper les Bastaques de l’Atao d’un système de double poulie auto coinçant similaire. Ils avaient le culot de vendre ça 320 € pièce … Garanti à vie qu’ils disaient, un peu comme les outils Facom. Ca dure combien de temps une vie ? Est t’il seulement encore vivant « Mr Jacob Delafon », le propriétaire originel du bateau, il y a 50 ans … Cette poulie est donc un genre d’instrument incassable ! Et bien moi je l’explose la bestiole, trop fortiche … Pas moyen de remplacer ça pour le moment, avec ce vent … Je fais donc « sans », en amarrant l’écoute affaiblie à un taquet, y penser à chaque virement de bord, en espérant ne pas rencontrer un gros grain avant de trouver une véritable solution à ça …
Ah les joies et vicissitudes des bateaux d’occasion …
18h30 Au coucher du soleil je gréé l’Atao pour la nuit : un ris dans la GV et foc N°1, un drôle de pyjama … Je pourrais laisser toutes voiles déployées, mais prudence … Pas envie que l’un de ces « grains skud » viennent me la jouer au marchand de sable … J’ai horreur des manœuvres de pont la nuit, surtout avec ces lunettes de soleil, et malgré la pleine lune.
Je tiendrais encore le coup « à la barre » jusqu’à 21h00, mais après 12 heures de quart je ne tiens plus vraiment le choc, je suis crevé … Les yeux, les bras, le dos, tout mon corps hurle au repos. Et puis ce vent et ce soleil tropical (si si on peux le dire) tape fort sur ma « cabeza » de parisien mal embouché …
Petite étude de la dérive de l’Atao sous deux types de « cape »
22h00 Point de la navigation du jour. D’après le GPS depuis hier minuit j’ai « gagné » 39 Miles nautiques vers le sud et 40 vers l’ouest, soit un grand maximum de 60 Miles sur le cap recherché (110 kilomètres). Humph c’est tout ??? Normal, entre les repas, les manœuvres de pont, les erreurs de barreur, tous ces moments ou je me mets « à la cape » et que je recule … Les joies du navigateur solitaire sans régulateur …
Mais sacré bonne journée tout de même …
11/01 à 08h00
N22°43 - W 29°32
Vache, entre hier soir 23h00 à ce matin 7h00 j’ai dormi comme une souche, à la dérive … Sans feux de navigation, sans veille de pont aucune, adieu toutes les bonnes vieilles règles de sécurité minimales … A ma décharge, à part le premier soir, je n’ai croisé aucune embarcation, navire, cargo ou voilier en plus de 6 jours de mer … Nous sommes désormais bien loin de « l’autoroute » ou « rail de navigation » de Gascogne. Ca aide à dormir plus tranquille …
Au matin, petit déjeuner « pantagruélique », rangement, pompage de cale, débarbouillage sommaire, écritures… Baromètre stable, mais peu à peu le vent augmente en puissance …
Je commence à me sentir bien dans le rythme, de plus en plus apaisé, un doux rythme s’installe dans ma tête. Déjà les Tam tam de l’Afrique ? Bref je « glandouille » le matin et ne me présente « au Taf » à la barre qu’à 9h30. Et que le patron ne vienne pas se plaindre … Faut comprendre et ne jamais oublier la règle numéro 1 : « économiser le bonhomme dès que les conditions le permettent » … On n’est pas au bagne après tout.
Pensée désolée à l’avance pour l’inquiétude à venir de la mère, ma Moman, mon marin-veilleur à terre, qui ne me verra pas débarquer dans les temps impartis. Nous avions convenu par téléphone d’un délai minimum de 10 jours avant qu’elle ne commence à s’inquiéter. A l’estime (aidée du GPS) il reste environ 420 miles à parcourir, ceci sans aide au gouvernail, mécanique ou électrique, pendant mes périodes de sommeil … Avec cette pauvre moyenne de 60 miles par jour il faudra encore un minimum de 7 jours pour parvenir à destination. J’espère qu’elle ne va pas paniquer et m’envoyer « les secours » …
C’est vrai qu’à terre, il est difficile d’imaginer le scénario que je suis en train de vivre …
Ah si j’avais eu un téléphone cellulaire …
Ah si j’avais eu un Spinnaker …
Ah si j’avais un panneau solaire, un moteur, de l’électricité …
Ah si j’étais riche … Tient je vais tenter de la jouer à l’harmonica celle là …
Concernant ma belle étude de dérive d’hier, appliquée sur la nuit entière, ben … Résultat complètement inverse à celui escompté. Le vent a tourné du Nord ouest au Sud Est, retournement total de situation. Pour le coup, en 8h00, j’ai perdu 8 Miles sur l’Ouest. C’est « boucou » 8 miles, à 4 nœuds de vitesse droit sur le cap, c’est deux heures pleines de « boulot » pour récupérer ça … Quoi qu’il arrive la nuit prochaine je prends deux ris, juré !
Les faits marquants du jour :
Le plus émouvant d’abord … Les dauphins ! Première fois depuis le départ des Canaries … Ils ont changé de Physionomie, ce ne semble pas être la même race que ceux vu précédemment … Ils sont tout petits petits (50 cm maxi) avec le dos très noir et le ventre presque vert (contrairement aux grands dauphins gris style « Oum le dauphin ») … Mais là c’était une meute, mais une meute, à peine croyable tellement il y en avait … On dit « meute » pour des poissons ? Un bans de dauphin ? Meute ça sonne mieux, ce sont des mammifères après tout ! Bref, ça grouillait de partout, deux trois quatre cent dauphins, impossible à dire mais vraiment impressionnant … Au devant de la … meute (donc, j’insiste) il y en avait un comme fou qui enchaînait toute les 10 secondes d’incroyables bons, looping à plus de 4, voire 5 mètres de haut. C’était … beau !!! Comme d’habitude Roxao les avait « entendu » bien avant que n’apparaisse le premier d’entre eux. Elle a pris l’habitude d’aboyer tout son saoul dès qu’elle les vois, mais là elle s’en est trouvée toute enrouée tellement il y en avait …
A un autre moment dans l’après midi, j’aperçois un gros aileron qui flotte, immobile … Peu à peu apparaît une énorme masse blanche juste en dessous (6 ou 7 mètres). Pour un peu « j’y » rentrais dedans à ce foutu fish… L’Atao déboulait ses 7 nœuds, avec ses 10 tonnes d’inertie. Ce n’était sûrement pas un dauphin, ni non plus une baleine, je crois que ce devait être un gros mais vraiment très gros requin, glups, « ça » devait dormir « tranquiloute billoute », comme ça, à la surface de l’eau ! Nous sommes passé à 3 ou 4 mètres de lui, l’a pas bougé, nous a même pas vu passer …
Sinon navigation par vent d’Est / Sud Est. Très bien pour l’Atao, ce vent, ce cap, beaucoup plus stable par vent de travers … Le barreur très concerné il aime bien ça aussi. Gouverner le bateau par élastiques redevient possible et me soulage un peu … Le vent toutefois forcit de plus en plus, de 10 à 15 nœuds ce matin il progresse à 20 à 25 nœuds et ne semble pas vouloir faiblir pour la nuit. C’est sportif comme allure. L’Atao se régale, pointes à 7, voire 8 nœuds, grisant …
Pour moi, presque 14 heures de barre sans « débander »… D’habitude (si on peux déjà parler d’habitude) j’abandonne la barre à la tombée de la nuit, mais là j’étais motivé ! Au nord, de gros nuages noirs s’accumulent, et j’ai aperçu quelques bon gros éclairs qui ne ressemblent pas à des éclairs de chaleur …
J’avais la météo pour 7 jours au départ des Canaries (au delà de 7 jours les données sont vraiment trop aléatoires, paraît t’il). On y voyait clairement une grosse dépression fondre sur les Canaries par le nord en fin de semaine. En théorie, à ce moment là, je devais être à plus de 500 miles au sud. Normalement elle ne devrait pas descendre plus au sud que les Canaries (sphère d’influence de l’anticyclone des Açores), mais sait t’on jamais ? Avec cet étrange vent du Sud tellement improbable sous ces latitudes. Cela annoncerait t’il une confrontation d’un (comme ils disent) front dépressionnaire … Et que disent ces tout longs nuages hauts, bien rangés en lignes parallèles dans ma direction (Cirro Stratus – Alto Stratus ?). Ca me rappelle bien un truc !!! Ne signifient t’ils pas quelque chose ???
Bref, je décanille au mieux vers le sud, vent de travers pour le moment … A peu près 85 Miles depuis hier (environ 160 Km) ce n’est pas déjà l’Amérique, mais on se rapproche d’une moyenne décente, vue les conditions actuelles.
Le pompon, je m’améliore nettement à l’harmonica, au moins 4 mélodies vaguement valables ... Mais comment que ça se joue « du blues », merde ! Aucune mélodie ne me vient « à la bouche », ce n’est pourtant pas faute d’en avoir écouté …
Voie d’eau stable …
Le pépin du jour :
C’est « la faute aux » dauphins qui gigotaient de partout, j’étais distrait, au largue … Le coup classique, l’Atao abat de trop au vent nous frôlons l’empannage. J’entends le génois qui dévente, je redresse au cap immédiatement, mais trop tard … Le génois en se rabattant par l’avant s’enroule autours de l’étai, en torche ... Une autre cata !!! J’ai bien cru ne jamais réussir à l’affaler tant il était serré, là haut. Il a fallu souquer un peu sur la toile pour le décoincer, il s’est de nouveau décousu sur presque deux mètres, et M… Et comme de bien entendu il ne s’est pas décousu de ses nouvelles coutures (réalisées à Graciosa). Ce sont les anciennes qui se décomposent peu à peu et qui ont lâché … Parlez moi des joies et vicissitudes des bateaux d’occasion !
Me voici dans ma banette, bien exténué mais difficile « à dormir ». Ca souffle de plus en plus dur, veille, écritures …
Cap dynamique plein Sud à 4 nœuds de moyenne. Chouette, pour une fois, de nuit, je suis presque sur le Cap, et surtout je m’éloigne de la dépression Nord … TVB.
Je n’arrive toujours pas à me décider entre aller à Mindelo (Ile de Sao Vicente – Cap vert) ou viser tout de suite Dakar via l’Ile de Sal pour recharger mes batteries à terre et téléphoner … Pour la réparation de ce foutu moteur il y aura certainement plus d’opportunités et de moyens au Sénégal, et ce sera sûrement moins cher qu’au Cap Vert … On verra !
A mon avis la météo et le sens du vent choisiront pour moi, j’vais pas faire le bégueule avec ma navigation à « l’élastok »… Pour le moment je suis à la croisée de ces deux possibilités « d’atterrissage », presque la même distance pour rejoindre l’une ou l’autre. Disons que pour le moment je suis toujours « en approche » …
Alleye Bye Bye je dors.
Dernier petit tour sur le pont pour voir si pas de cargo ??
12/01 - 07h45
(N 21°19 – W 20°21)
Houla, houlala, ça souffle bien dru, moi qui vous l’dis …
Toujours ce vent Est / Sud Est, mais, via l’anémomètre, avec des rafales à 28 / 33 nœuds (60 Km/h) – force 7 (limite 8) ou selon la traduction littéraire de l’échelle de Beaufort « grand frais » à la limite du « Coup de vent ». Un « monde » de différences ces quelques nœuds de vent supplémentaires par rapport à hier, c’est ??? Pfoufff !!!
Cap Sud / Sud Est (prés serré) – Foc N°1 et un ris dans la grand voile. Vitesse plus ou moins 5 nœuds seulement, mais énorme avantage je n’ai plus à tenir la barre, l’Atao étale seul sa route avec la barre calée…
Pas facile d’écrire dans ces conditions, je vous jure. Au plus près du vent, contre la houle qui déferle en permanence sur le pont, ça cogne et secoue vraiment fort … Pourtant, malgré les « éléments (relativement) déchaînés » je suis bien au sec à l’intérieur, tranquille. Sans pilote automatique ni régulateur l’Atao est calé comme sur un rail. J’ai à peine touché à mon réglage d’angle de barre et de voiles établit hier soir par des conditions beaucoup plus clémentes. Je suis fier de mon Atao ce matin ! Tout de même, pour un vieux pépère, quel comportement « à la houle » !!! Il est taillé pour le prés ce canote.
Ca me rassure pour le retour en France à venir que je prévoie (bientôt ? Déjà ?) par les côtes Africaines et les Açores, au prés dominant … Et « qu’il est quasi impossible à réaliser vu les vents et le courants contraires – tu ferais mieux de traverser l’Atlantique et revenir, c’est plus facile et quasi aussi rapide… », paraît t’il, selon la rumeur persistante … Mais c’est du Grand Largue, tout le temps, la traversée Atlantique… Pas vraiment faite pour l’Atao cette allure, en tout cas pas dans les conditions d’équipement actuel … On verra bien !!!
En attendant, mon petit sloop de bois fend effrontément les flots effarants, par la grâce de deux petits élastiques tendus. Malgré ses fuites et ses craquements je me sens « en confiance » dans ce canote, je le soupçonne capable d’étaler bien des vents, pas de la gnognote ça M’ssieurs Dames …
Mais pas plus de vent SVP pour le moment !! Mes voiles sont vieilles et fragiles, et puis cette voie d’eau, pas de moteur, pas d’électricité. Vous comprendrez, nous ne sommes pas parfaitement préparés. Des problèmes de moyens, pas vraiment de compétences, peut être juste un peu d’inconséquence seulement … Ceci n’est pas un exercice …
Par ces conditions météo si j’avais un foc de « confiance » de 10 à 15 M², bien plat, bien épais et bien cousu , je naviguerais à l’heure actuelle uniquement avec lui, en affalant la grand voile, mais je n’en ai pas … J’imagine la panique en supposant que le foc explose, le grand voile affalée, à la Cape et sans vitesse, avec cette mer foutrement forte … Je maintiens donc foc et grand voile sous deux ris (cette foutue ligne de troisième ris manque terriblement par ces conditions), trop de toile « au cul » du bateau sur la G.V, mal compensé par le petit foc avant, d’où ma tendance actuelle pour le lofe et à remonter trop fort au vent.
Si ne veux pas barrer (et donc me prendre des tonnes d’eau plein la gueule en permanence) le Cap m’est plus ou moins imposé, sans surprise, je dérive toujours trop vers l’Est à mon goût … D’après mes (hum – savants) calculs : 21 minutes en latitude sud « gagnées » depuis hier minuit, soit 21 miles nautiques (puisque une minute de latitude est égale à un mile) et 17 minutes de longitude West « perdues », soit à peu près 20 miles nautique (puisque les minutes de longitudes augmentent en distance plus l’on se rapproche de l’équateur).
Et bénissons seigneur dieu « Gépé Hesse » qui permet de savoir où l’on se trouve, au mètre près, dans ce grand désert d’eau déchaînée … Harnachons donc « Ciré casquette harnais », et allons souquer un coup sur ces foutues (oups, j’allais dire ficelles paraît que ça porte malheur sur un bateau) garcettes, afin de redresser le Cap…
Puis je vais tenter de faire un peu de couture (le génois) tant que j’ai les mains libres. Vu comme ça secoue je sens que ça va être … Coton !
Minuit :
C’est, euh comment dire, impressionnant !!!
Quasi impossible d’écrire tellement ça bouge … 30 à 35 nœuds de vent en permanence depuis plusieurs heures. C’est vraiment délirant ce qui se passe là ! La couture, figurez vous j’ai oublié, j’essaie juste de préserver ce qui est encore cousu … Des centaines de litres d’eau déferlent dans le cockpit en permanence, une douche toutes les 15 secondes à la barre, une houle de plus de quatre mètres hachée, on se sent tout petit face à « ça » …
L’énorme pépin du jour : Ce matin, un bas-hauban (un câble d’inox qui maintient le mat en place) s’est rompu. Menace de démâtage !!! Coup au cœur, tête qui tourne. Je change d’amure immédiatement pour soulager le mât. Réparation « à l’arrache », harnais impératif, avec des vagues et une gîte à peine croyable, sans pouvoir maintenir le cap, ça a été vraiment sportif, cœur sensibles s’abstenir … Le câble inox arraché cingle et claque au vent. Il menace à chaque moment de lacérer les voiles, le mât tremble ... Mille égratignures sur les mains … Heureusement que j’avais lu Moitessier et prévu de m’équiper de quelques « Serres câbles » !
Second pépin : Moins grave celui là, disons qu’il ne coûtera rien « financièrement » plus tard, mais qui va me gêner là de suite pour le reste de la navigation, surtout avec ce foutu temps de chien … En affalant la grand voile pour prendre un deuxième ris, la voile me tombe dessus d’un coup !!! La manille de drisse vient de lâcher la grand voile. La drisse file et se coince en tête de mât, là haut, tout en haut, oh oh hissez haut … Et comment je vais faire pour la hisser, la grand voile, maintenant ??? Possibilité avec la balancine de bôme, sans Winche (puisque mes deux winches de mât sont à enrouleur), avec des gants, tout en force, vraiment difficile ce vent … Chiant, chiant, mais chier !!!
8 à 9 heures « de barre » Elle pesait des tonnes en fait cette putain de barre.! Je m’aperçois en fin de journée, en affalant la grand voile pour la nuit, que je vais tout aussi vite et que je suis presque aussi stable avec le mini foc uniquement … Quel con ! Je me suis épuisé pour rien aujourd’hui … Alleye c’est le métier de marin qui rentre !!!
Il reste encore environ 250 Miles avant d’arriver au Cap Vert …
Mais sans moteur, avec ces conditions météo là, comment imaginer se rapprocher de la terre ? En mer le danger c’est la terre – là je le comprends beaucoup mieux ce con de dicton …
Direction l’Ile de Sal (vu ma dérive Est pas vraiment le choix …) pas de Marina là bas, toutes les escales se feront désormais « au mouillage », un autre genre de « navigation » auquel je ne suis pas encore habitué... Il sera donc vraiment difficile d’envisager la moindre réparation. Peut être juste de recharger les batteries en les menant moi même à terre …
Sinon, à force de bondir et cogner sur et contre l’eau, les vieilles « plaies » de mon bel Atao se rouvrent peu à peu. Voie d’eau, il ne faut désormais plus que 2h00 pour remplir les fonds de cale, glups !!! Si je devais sortir l’eau à la main je ne pourrais envisager de maintenir le bateau à peu près sur son Cap en réparant au fur et à mesure « ce qui lâche » … Trois heures la réparation du haubans ce matin …
Stratégie de nav’ ce soir :
Ce soir je tente la solution de « Cap Contre » : Foc contre le vent, coincé dans les haubans « au vent », barre fixée de l’autre coté « sous le vent » … Résultat, je dérive plein Sud à 2 nœuds de moyenne. Les paquets de mer s’écrase comme tonnerre sur le pont. Cette drôle d’impression de n’être qu’un petit joujou perdu dans une concasseuse …
Vent toujours même sens, même terrible force (30 / 35 nœuds – j’ai surpris l’anémomètre sur 39 nœuds tout à l’heure, mon euh record personnel ce jour) … Un vent de Sud / Sud Est. Mais qu’est ce qu’il fout là celui là, d’abord ? Les « Pilots charts » - la « bible » des statistiques des vents (et des courants) – affirment pour cette période de l’année : Des vents d’une force maxi de 20 nœuds à 90 % !! Et, 85 % d’Alizés Nord Est, 13 % de vent d’Ouest, 2 % pour le reste … Pour une fois que je traîne mes savates dans les parages il faut que je tombe sur les 2 % merdiques qui restent. Quelle Scoumoune tout de même !!!
Le 12 Janvier 2007 je quittais officiellement « Voyageurs du Monde » et « Terdav », mon dernier boulot (rémunéré). 3 jours plus tard j’achetais l’Atao. Deux ans plus tard me voilà là (anniversaire), plongé (que dis je immergé) dans mon rêve. C’était mon choix, ouch qu’est ce qu’il secoue, ce rêve …
Plus du tout envie de jouer de l’harmonica, je vais tenter de dormir chouya !
13/01 - 13h00
(N 19°13 – W 20°13)
Ouf, enfin en début d’après midi le vent (toujours Sud Est - 25 à 30 nœuds) se calme enfin un peu. Ca fait du bien par où que ça passe … Dans la matinée il est remonté au nord puis redescendu au Sud, confirmation que je suis coincé entre deux fronts dépressionnaires … La nuit a été vraiment longue. En guise de Tam Tam africains c’est l’assourdissant fracas des tonnes d’eau qui s’écrasent sur les bordés et le pont qui m’accueillent en Afrique. Epoustouflant ce boucan, à se demander comment le bateau parvient à encaisser de tels chocs …
Foc N° 2 déchiré et décousu pendant la nuit, c’est réparable je crois. J’envoie le Foc N°1.
Grâce à dieu, malgré cette allure très cassante, la voie d’eau n’empire pas, c’est déjà ça … Pompage toutes les deux heures, deux heures trente… Je les note toutes les séances de pompage, depuis le départ, il y en a eu 35 … 35 * 120 litres = 4200 litres évacués … C’est pas une bagatelle ça ! De l’intérêt d’avoir une bonne suceuse à bord ! Euh oui, c’est comme ça que j’ai surnommé ma petite pompe auxiliaire … Va être temps d’arriver tout de même, la batterie auxiliaire ne sera pas éternelle …
Niveau Cap je perds toujours trop « de l’Est ». Avec ces changements de directions de vent, la mer est hachée, pas de houle régulière, des vagues hautes imprévisibles de 3 à 4 mètres qui déferlent tantôt d’un coté, tantôt de l’autre … Je ne parviens à remonter vers l’Ouest qu’en tenant la barre à la main super concentré, la barre tire fort … Je suis au propre je vous jure, douche toutes les 15 secondes, salé mais bien propre … Je tiens 01h30 à 02h00 de quart à la barre, puis je vais me réfugier dans le carré pour me reposer un peu, en vidant au passage les fonds de cale, je crois que ça s’aggrave un peu le binz des fonds de cale. Sans barreur le bateau reprend peu à peu de l’Est, tonneau des Danaïdes …
Pour la première fois depuis deux jours je mange chaud, c’est bien … Le bateau rutile, en dedans comme en dehors, plaisir des yeux … Je ne suis pas particulièrement inquiet (reste 250 miles avant le Cap vert). Vivre en total silence des autres c’est un peu bizarre, d’où ce besoin d’écrire sans doute … Je réinstalle ma ligne de pêche, un bon thon serait de bon ton pour le dîner …
Tout en barrant je tente de recoudre mon Foc N°2. Vu les calages de barre en place il suffit d’un petit coup de cul de temps en temps pour redresser la situation. J’ai fini par affaler la Grand voile, un de ses laize s’est décousu sur quelques centimètres, avec ce vent j’ai peur de la grande déchirure soudaine, et puis ce manque de drisse … A terme, et après cette consolidation de foc, je compte tenter d’en mettre deux en ciseaux, dont l’un tangoné. Jamais essayé ça, paraît que c’est très stable au vent arrière deux focs en ciseaux. A midi il restait 225 miles à parcourir pour Sal …
Ah oui : Je viens de retrouver sur le GPS portable un mini « lecteur de carte », mondial, mine de rien... Il est un peu obtus et compliqué à manier mais je commence un peu à peu à le maîtriser. Ca me permets de mesurer les distances à partir du point où je me trouve.
Petit Test immédiat :
Provenance la Goméra : 578 Mn
Destination Sal (Cabo Verde) : 212 Mn
Ou Dakar 313 Mn
Alleye mon Gilou, trêve de calculations, Une petite sucée et à la douche …
Minuit
Il vient de m’arriver un truc pas croyable encore, du genre « pépin du jour » … Je serais franc, je n’irais pas par 4 chemins, en 2 mots et en substance : depuis tout à l’heure tranquille, le bateau a failli couler tout bonnement, tout bêtement, tout simplement … Par la faute de Roxane, qui plus est !!!
Je vous entends déjà vous questionner ??? Mais comment donc qu’un pauvre petit chien de 10 kilos tout mouillé pourrait t’il parvenir à couler un bateau de 10 tonnes ?? On tient le pari ? Tope là, le prix de la réparation du moteur ? S’cuzez hein, mais va bien falloir que je trouve un moyen de financer « ça » ! Ca me travaille la tripe ce truc de financement de cette réparation, pouvez pas savoir …).
Je vous explique, donc …
Les vagues s’écrasent sur le pont, sur le roof et dans le cockpit, euh « comme de bien entendu », au prés !!! Des centaines de litres pour chaque vague déferlant… Dans le cockpit l’eau ne s’évacue que par un minuscule « vide vite » composé d’un trou de trois centimètres de diamètre, d’un tuyau et d’un « passe coque » situé juste au dessus de la ligne de flottaison … Vers 20h00, nuit noire déjà, abruti de fatigue, j’entends comme un « floc, floc … » inhabituel au dehors … Je m’extirpe difficilement de mon duvet tout mouillé (mais chaudement mouillé – énergie …) pour voir ce qu’il se passe … Tient tiens, « chelou », le cockpit est moitié rempli d’eau !!! Oh oh, justement une vague s’écrase sur le roof et dans le cockpit, une sacrée vacherie de plein d’eau salée dans le cockpit, jusqu’aux genoux,
Soulagé je constate que l’eau s’évacue, plus lentement que d’habitude, mais elle s’évacue ... Il y a quand même un truc qui cloche … Je plonge et teste la pression d’évacuation du « vide vite ». Rien, Walou … En fait je me rends compte que l’eau passe par les coffres du cockpit, directement dans les cales de l’Atao… En fait, euh, il y a urgence là, à chaque déferlante l’eau rentre dans le bateau. Au secours je coule !!
Atao face au vent, à border les écoutes pour que « ça » ne claque pas trop, pour que le poids des déferlantes se répartissent sur le pont, à l’avant, sans remplir le cockpit … Toutes les pompes électriques possibles à fond, « à évacuer », peu importe ce soir le coût énergétique.
Trouver une baguette souple pour sonder le « vide vite ». Rien à faire, trois coudes dans cette saloperie d’évacuation … Il faut vider l’immense coffre arrière du bateau où j’ai accumulé 1000 merdes, et protéger son contenu jusqu’à la cabine avant. Puis démonter un putain de tuyaux vicelard, le cul à l’air, la gueule sous les genoux, chaque vague me rempli les narines d’une « gorgée » d’eau archi salé… Je n’ai jamais démonté « ça », quatre colliers de serrage tout rouillés à « dévisser » la tête en bas… Je n’y vois rien avec mes lunettes de soleil, la lampe torche à stabiliser, je t’explique pas le chantier … Je ferme la vanne du passe coque (ouais parce que sinon ça aurait été la merde) et extirpe c’t’enfoiré de tuyau, qu’est bouché « à la lie » par, vous l’aurez deviné, des grosses crottes de Roxao, noudoudiou. C’est vrai, que de chier sur les passavants, par le temps qui coure, c’est risqué. Elle s’est donc soulagé dans le cockpit, et ça a bouché ce foutu « vide vite » … Encore une heure pour re fixer ce tuyau … Odeur d’eau, de merde, contorsions … Le cockpit se vide de nouveau, 1000 litres évacués électriquement des fonds de cale, poil à la batterie ... Je n’avais jamais envisagé un tel scénario, talon d’Achille … Je suis archi crevé … Une petite grille pour filtrer l’eau du « vide vite » ???
Sinon le foc N°2 est ok. Recousu du mieux que j’ai pu, avec mes foutues lunettes de soleil, ma presbytie non corrigée, la gîte et la houle, l’humidité, l’humilité de la tâche, et ce foutu rafiot de 10 tonnes à maintenir sur le Cap … Je vous ferais bien une photo du boulot, mais bon trop tard j’ai remis ce Foc « au turbin » …
A la recopie je vous passe mes fumeuses mais néanmoins z’ habiles analyses sur le sujet de « la Cape et de la Fuite », assez de blabla marin comme ça …
Juste, Stratégie de nav’ ce soir : Je retente une « cape courante » au vent, sur le bord opposé. Vent presque Sud, cap à l’Ouest si possible … Foc N°2 bien bordé, la grand voile légèrement larguée sous deux ris pour ne pas trop la faire forcer, la barre décentrée sous le vent avec des bouts rigides … Atao remonte au vent à 2 ou 3 nœuds de moyenne, au moins je ferais un peu d’Ouest ce soir … Les paquets de mer s’écrasent comme tonnerre sur le pont… Bom Noiche …
14/01 - 10h00
(N 18°54 – W 20°13)
Ben on commence la journée de suite par « le pépin du jour », encore un « truc » totalement improbable …
06h 30, j’entends comme un étrange et léger frottement sur le toit du roof. Je pense au début que c’est la toile résiduelle du second ris qui s’est libéré de sa bosse de ris, je flémarde au lit … Puis soudain le léger frottement devient un son énorme, métallique, cassant … Hé merde, nouvelle urgence de nuit, j’adore … Harnachement, lampe torche et … Stupeur !!!
La bôme (100 Kg à elle seule) vient de se désolidariser du mât, l’axe du « vide mulet » a disparu. La grand voile est sous pression, tendue par le poids de la bôme qui ballote latéralement sur près de trois mètres, frottant le roof au passage … Je comprends de suite le risque majeur, si l’embase de la bôme se plante dans l’eau, avec la vitesse, tout s’arrachera !!! Voile déchirée en deux, la bôme à la baille éventuellement retenue par les écoutes de GV, le tout qui s’écrase contre les bordés avec cette putain de houle, et ce vent … Cauchemar !
Atao face au vent, j’arrime la bôme au mieux « avec les moyens du bord » … Puis commence une longue bagarre sur le roof ultra glissant avec cette foutue bôme archi lourde dont les oscillations menacent de me fiche à l’eau à chaque instant ... Par miracle je retrouve l’axe tombé dans le coffret de la manivelle de winch … Le boulon a évidemment volé à la mer. Par chance j’en trouve un, en inox SVP, du bon diamètre dans mon fatras de visserie.
Au petit matin la bôme est remise en place, l’axe resserré au « locked it », SVP !!! Fatigue, froid, les mains en sang une fois encore, je suis épuisé, contrecoup du coup de sang, de l’adrénaline .,, « Ca » aurait vraiment pu être une avarie majeure, frisé « la correctionnelle » une fois encore …
« On » ne s’en sort toutefois pas totalement indemne …
Le bas haubans bâbord vient de lâcher à son tour, même endroit, à l’épissure ... J’y colle un serre câble, le réinstalle sur son ridoir et le remets en tension, à l’instinct …
La chute de grand voile est déchirée sur près d’un mètre, le laize perpendiculaire est décousu sur 50 Cm, j’affale …
Le foc N°2 que je venais de réparer a claqué au vent pendant près d’une heure, il s’est déchiré sur toute sa largeur, irréparable cette fois ci, je le crains …
Anecdote poétique : Au petit matin, en plein combat contre ma bôme, j’entends un « flick flick flick » dans le cockpit … Lunettes de soleil sur le nez, vague lueur du petit matin, j’en cherche l’origine. Et là attendrissement ! Mon premier de ma vie de tout petit « poisson volant » vient de « s’échouer » sur l’Atao. C’est jouli, attendrissement … C’est pas grand chose à manger, et puis pas que ça à foutre pour le moment, zut j’ai pas pensé à faire « la photo ». Je lui rends sa liberté … Mais, mine de rien, un autre « fantasme » réalisé ce matin : Qu’un poisson volant s’écrase sur le pont de mon voilier, si vous saviez comme j’en avais rêvé, là bas, à Paris …
Toujours ce vent Sud Est 25 à 35 nœuds, saoulant, enivrant, omniprésent … Le Cap à maintenir
Prise de conscience, plus de foc 2, plus de Génois, plus de Grand voile… Il ne me reste plus qu’une voile opérationnelle : Le plus petit Foc, le N°1, que j’avais failli jeter à Marans tant il me paraissait naze, à l’époque. Il est désormais le seul et ultime moyen de me stabiliser dans cette mer hachée …
Pas plus de note pour ce jour là …
15/01 - 06h00
(N 17°45 – W 20°55)
Le Vent a enfin tourné, il se réinstalle sur l’Alizés Nord Est … Il baisse enfin un peu d’intensité (20 à 25 nœuds – rafales à 30), Mer très agitée encore avec des vagues de 4 à 5 mètres déferlantes ... Foc N°1 seul, donc … Le baromètre est stable.
Foc à contre, je n’avance quasiment pas (3 nœuds maxi). La honte pour moi avec ce vent. Mais je parviens à maintenir le Cap Ouest / Nord Ouest, sans tenir la barre.
Je passe la journée en ciré sur le roof, harnaché à la bôme, à tenter de recoudre la grand voile … Deux points de coutures, une déferlante dans la tronche, deux points de couture … Travail de longue haleine, rendre la grand voile un minimum opérationnelle pour l’atterrissage à Sal … C’est une priorité !!! J’ai du mal à imaginer la manœuvre à l’arrivée. Je ne connais pas la baie de Palmeira à Sal, ça souffle vraiment fort. Je me refuse d’aborder une terre inconnue avec une seule voile pourrie qui risque de rompre à chaque instant. J’imagine cette houle s’écrasant sur la grève, ça doit faire de sacrés jolis rouleaux, hum …
21h00 Point Nav’ : Fête ce soir, plus que 100 miles nautiques avant l’arrivée. Hier soir, à la même heure il ne restait que 125 Miles, je n’ai gagné en 24H00 que 25 miles sur le Cap (glups), mais bon, j’ai récupéré 50 miles sur l’Ouest, en en perdant un peu sur le sud. En fait au portant je tire des bords à l’envers, vraiment frustrant …
Au dîner ma dernière bonne boite de conserve française : Langue sauce piquante et du riz. Ca fait du bien par où que ça passe …
Ce jour c’était « anniversaire » - deux ans jour pour jour que j’ai acheté l’Atao. J’y suis bien plongé jusqu’au cou dans mon rêve parisien …
Il faut désormais mettre « suceuse » au boulot toutes les 01h45.
16/01 - 05h00
(N 17°33 – W 21°54)
Plus que 70 miles …
Vent Nord Est 20 à 25 nœuds, grand soleil … Cap à l’Ouest à contre, toute petite allure.
Huit millième litre d’eau de mer évacué par suceuse, championne du monde celle là !!!
Couture, couture, couture pendant des heures, un travail minutieux un peu hallucinant ... Juste égayé par le froufroutement du vol des poissons volants, j’adore …
10h30 Pépin du jour (mais putain jamais ça s’arrête …)
Il ne me reste pourtant que 10 m² de voile à tirer sur le mât.
Le « Gal haubans » bâbord, comme on dit nous autres dans la marine, se sectionne par son milieu, juste au dessus de la barre de flèche. C’est le grand haubans, qui rejoint la tête de mât, c’est un « fondamental » … C’est irréparable ici, en solo, avec cette mer. Le mât tremble sur son axe, je tremble dans mon slibard … Ce sentiment d’être une marionnette à qui l’on coupe uns à uns les fils …
Heureusement que l’Atao dispose d’un gréement fractionné, le foc ne tire pas trop sur la tête de mât. J’étarque les deux bastaques au winches, pour une fois je les bénis d’exister ceux là …
Je passe la matinée à équilibrer la tension des haubans restants. Le bas haubans bâbord, déjà réparé, se cisaille au niveau du serre câble, il devient trop court pour une réparation. J’ajoute un bout de chaîne 8 mm pour récupérer de la longueur, chaîne coupée sur mon ancre de secours à la scie à métaux élimée, sans étau… Frère Moitessier merci pour tes conseils avisés …
14H00 Le vent remonte à 30 nœuds … Pchouuuuu …
Reprise de la couture de la grand voile dans l’après midi … Vers 18H00 le travail est fini, la voile n’est que consolidée, mais en cas de grosse urgence je pense pouvoir la renvoyer avec une petite chance pour qu’elle n’explose pas à son tour …
Objectif de Nav’ du jour : Pour l’instant je maintiens le vent tribord amure, où le gréement me semble moins sollicité grâce à un meilleur angle pour traverser la houle bien formée, et puis au moins de ce coté il reste un « Gal haubans » … Dépasser Sal très largement par l’Ouest, pour ne garder qu’un seul virement de bord à réaliser d’ici l’arrivée, toujours afin de ne solliciter qu’un minimum le gréement.
16h00 Le vent baisse enfin un peu (20 à 25 nœuds) … J’en profite pour virer de bord (Sud Est) Sal est dépassé, il reste toujours 70 Miles avant l’arrivée, mais normalement c’est le dernier bord …
Le GPS branché sur l’allume cigare ne répond plus, plus assez de jus … Heureusement le GPS portable lui fonctionne sur piles … Le sondeur et l’anémomètre fonctionnent toujours.
20h00 Mort de « suceuse » … Indigestion, paix à son âme mécanique …
Je pensais au début que la batterie auxiliaire était vide. Crevé, l’âme en peine, j’extirpe le seau du coffre du cockpit, afin de commencer un long cycle de pompage « à la mano ». Puis idée de génie, il me reste toujours la batterie du moteur, chargée à bloc, pour ce qu’il me sert ce putain de moteur … Je teste « suceuse » mais rien, elle est belle et bien morte, chier … Je reprends le seau avec dépit, pas motivé du tout. Puis nouvelle idée … Je coupe les fils qui relient la pompe principale aux batteries de servitude vides, que je dérive sur la batterie auxiliaire. « Slurp – slurp » par chance, ça pompe !!! Ouf soulagement … Pompage électrique toutes les heures désormais (120 litres / heure), la voie d’eau s’accentue peu à peu ! Il est vraiment temps d’arriver …
Vent énorme, vagues énormes, fatigue énorme
Je reste à la barre jusqu’à 23H00, pour être certain d’arriver demain, de jour. Je voudrais déjà y être, affaler les voiles, réparer le gréement … Peur du démâtage … Ne reste que 50 Miles avant Sal à parcourir vers minuit.
Toujours cette angoisse à la tripe pour la manœuvre à la voile à l’arrivée, je me répète par avance chaque geste, tout ce que dois préparer pour simplifier cette arrivée...
Mais c’est quand que ce vent se calme ?
C’est quand qu’il fait chaud ?
17/01 - 07h00
(Pas de point GPS)
Vent Nord / Nord Est, régulier à 30 nœuds … C’est encore beaucoup 30 nœuds … Mer très formée, je navigue sous Foc N°1 seul … Dormi 4h00 de bout en bout sans veille, sans feux ; pas bien si près des côtes …
Je n’ai donc pas évacué l’eau des fonds de cale cette nuit, pendant 4 heures … La pompe de cale automatique N°2 à tourné, automatiquement donc, pendant près de trois heures (j’aurais dû lui virer son fusible), et a vidé les dernières « gouttes » d’énergie des batteries de servitude … C’est con, si près du but, plus de radar, plus de sondeur pour l’arrivée, donc … Je ne peux même plus tirer d’eau douce des réservoirs (pompes électriques HS par la même occasion). Heureusement qu’il me reste la bouteille de 5 litres d’eau douce « d’en cas de naufrage » pleine …
28 miles seulement avant Palmeira, toujours le grand vide sur l’horizon … Je suis serein, J’ai toujours Sal dans mon Est, ce ne sera plus qu’un long bord Sud - Est de 4 ou 5 heures …
Sauf que :
Le bas haubans tribord rompt de nouveau, toujours à l’épissure, mais cette fois ci de son point haut sous les barres de flèches … Irréparable sauf de monter à mi mât …
15 Mn plus tard rupture du bas haubans bâbord, juste au dessus de l’ancienne réparation au serre câble … Réparation à l’arrache, avec deux manilles pour prolonger le ridoir …
Toujours le « Gal haubans » bâbord qui pendouille
Le mât ne tient plus que par trois haubans (et le double étai, le pataras et les bastaques). Gréé avec le Foc N°1 seul, il tremble à chaque embardée … Mettre la grand voile en service, même avec deux ris serait en ce moment de la pure folie …
Terre ! Terre, terre au loin … Ouf le GPS ne s’est pas planté … Adrénaline tout réparer, préparer le mouillage avant l’arrivée … Toujours ces lunettes de soleil, verres salis par les embruns qui sèchent, visibilité médiocre, le GPS annonce tout droit, j’arrive par le Nord, en fait il y a un petit Cap et une jolie petite montagne entre la baie à rejoindre et l’Atao …
La houle augmente s’allonge fichtrement, et change de direction subitement … « Hauts fonds !! » pensais je … Mais la côte est sensée être accore par le nord, je dois être vraiment très très près de la côte (plus de sondeur) … Puis une sorte de brume d’eau dans la brume sableuse, au ras de l’eau sur l’horizon flou à deux encablures devant … La « puta » ce sont d’énormes vagues qui s’écrasent sur la côte … Virement de bord archi rapide plein Ouest (le mât en tremble encore). Là surfe pendant deux bonnes heures, les énormes vagues détournées par la côte dépassent de trois ou quatre fois la hauteur du régulateur. Heureusement elles ne déferlent pas …
Vers 10H00 je capte le téléphone local, appel immédiat « à la mère ». Je crois qu’elle commençait vraiment à flipper. Ouf elle n’a pas appelé les secours, mais elle allait le faire aujourd’hui me jure t’elle. Ce soulagement dans sa voix. Au moins une personne au monde qui s’inquiète un peu pour moi … Merci môman ..
12h00 plus que 5 miles – préparation du mouillage, rangement sur le pont … Cœur qui bat mine de rien …
14h00 je me trouve à ½ Mile du mouillage … A la jumelle, j’essaie d’en comprendre l’organisation générale, de repérer les coins accessible à la voile où j’espère il y aura suffisamment de fond pour jeter l’ancre …
Tourment que ce dernier demi Mile. Je suis désormais sous le vent du mouillage. Il faut donc remonter au vent, avec un mini foc, au prés serré, dans une toute petite baie remplie de bateaux de pêche, de voiliers (une trentaine à vu de nez) et de corps morts et de fort probables épaves. Bon c’est vrai avec trente nœuds de vent je reste très mobile, la houle s’est un peu calmée dans la baie … Le mât semble vouloir se fracasser à chaque virement (oh non dieu non !!! Pas là, pas si près du but !!! Il tiendra le coup, year man ...).
Bords plats, bords carrés, bords perdants …
« Faut pas que je touche, faut pas que je touche, pas prendre de risque, Gilles serein serein … »
Après tant de temps de solitude, je me parle un peu tout seul, vous comprendrez …
« Oupss ça a été chaud ... »
Certains plaisanciers me regardent, je sais qu’ils se marrent (sauf quand je les frôle à ras à 4 nœuds lancé) … Ils doivent se dire « il en chie le puriste, arriver à la voile quelle idée » …
Philippe, un plaisancier qui est devenu pote par la suite, me prend en photo lors de cette arrivée épique, je les trouve impressionnantes ces photos (ci dessous – normalement). Vous voyez les vagues qui s’explosent sur la plage ? En agrandissant une de ces photos on voit mon mât sans ses haubans, impressionnant … Ben ouais il faudra vraiment que je me souvienne de cette traversée.
Vraiment n’importe quoi !!! Vraiment tout « à l’arrache », limite …
Plus Jamais ça !!!
Ca ne remonte pas noudoudiou … Je suis tenté un moment d’envoyer la grand voile, pour la stabilité et gagner au Cap (« non non quelle idée reste lucide mon Gilou »).
Puis, enfin, le doux bruit rêvé, espéré, fantasmé résonne… Le doux « Kreu Kreu Kreu Kreu » de la chaîne qui se dévide dans l’étambot, le plouf de l’ancre qui plonge dans l’eau Bleu / vert du Cap vert, île de Sal, baie de Palmeira … Premier soulagement.
J’affale le foc, mais me tiens prêt à le renvoyer immédiatement si l’ancre ripe … Je laisse filer 20 mètres de chaîne et la bloque, l’Atao se positionne sous le vent (toujours 30 nœuds c’est fort, et comme un effet venturi par la proximité de la côte).
J’enclenche l’alarme de mouillage sur le GPS, il sonnera si je dérive de plus de trente mètres de ma position actuelle. Amers et alignements sur la côte (l’un n’empêche pas l’autre). Après 10 minutes j’estime que l’ancre a bien croché, j’ajoute 10 mètres de chaîne et fixe une aussière tampon afin d’atténuer les coups de boutoirs sur la chaîne. La houle, le vent, pas très confort pour le moment ce mouillage …
Je lance mon sondeur de plomb 7 mètres de fond, impeccable (à l’ancienne vous dis je …) !!! J’examine la position de mon mouillage, pas mal, la plage n’est qu’à trois cent mètres de là, un peu trop près à mon goût, mais ça ira pour le moment …
Je m’assieds sur le claire-voie, moitié abruti, moitié tremblant (de fatigue, de froid, de soulagement) je commence à réaliser. J’y suis !!! « Cabo Verde » !!! …
La journée n’est pas finie, reste du boulot : « à ferler la grand voile », « à ranger le foc », « à lover et ranger les écoutes », « à sécuriser le mouillage », « à sécher un peu de linge », « à pomper les fonds de cale, une fois encore, c’est pas fini parce qu’on est arrivé », « à envoyer les couleurs - Pavillon Français au cul, pavillon Cap Verdien sous les barres de flèches », à … Je ne sais plus trop quoi, je suis un peu halluciné, mon pilote automatique perso fonctionne à fond (au moins un !!!) …
Plus de cigarette depuis hier midi. Je suis trop crevé pour gonfler l’annexe et me transbahuter son lourd moteur hors bord. Pas de virée à terre pour moi aujourd’hui. Les autorités douanières patienteront bien une petite nuit avant de me tamponner … Et merde au clopiot …
Et vive le clapot (ça secoue encore, différemment …).
Un petit riz accompagné d’une excellente conserve de Calmar à la tomate frit dans la poêle, un peu de beurre et le dernier œuf + ma dernière bouteille d’eau gazeuse … Roxao et moi même nous régalons de ce frugal mais chaud repas …
Roxane … Elle tremble de tout son corps aux odeurs de la terre … Comme le patron, elle attendra demain … Elle aussi s’est fichtrement bien comporté « à la houle ». Je lui enlève son harnais de mer pour la première fois depuis 12 jours …
Toujours pas de lumière, j’écris ceci à la lampe torche … Les yeux qui fatiguent, mais difficile « à dormir », autre rythme … Allez mon Gilou, pas de cargo à craindre ce soir, pas de déchirure de voile, de haubans arraché, de mât plié, de ???
C’est pas l’heure des bilans mais quand même, euh … C’était juste, Trop juste !!!